Préface d’Atma-Darshan

J’étais loin de penser que ce petit livre dut avoir une préface. Mais il m’a fallu écrire ces quelques lignes sur la demande insistante de quelques amis qui ont pensé que quelque chose en guide d’introduction aiderait les aspirants spirituels à mieux comprendre le texte. Les expressions ATMA, ISHWARA et BRAHMA semblent avoir été employés dans les anciens textes à peu près comme synonymes et d’autres fois dans un sens un peu différents. Pour l’œil qui discerne, il est clair que ces expressions, comportent des nuances diverses.

TAT TWAM ASI (tu es cela)

Dans le MAHAVAKYA, « TAT TWAM ASI » (tu es cela) le sens littéral de TWAM (tu) est JIVA ou l’âme individuelle, tandis que son sens indicatif est KUTASTHA ou l’âme individuelle perçue comme séparée de ses apparents accessoires tel que le corps, l’esprit, etc.
Le sens littéral de TAT (cela) est ISHWARA ou Dieu, tandis que le sens indicatif est BRAHMAN ou l’Absolu.

En méditant sur la formule
AHAM BRAHMAN ASMI (Je suis BRAHMAN)

L’aspirant écarte le sens littéral des mots et adopte le sens indicatif. Le but de la méditation est d’arriver à ce que l’idée de petitesse qui est souvent surimposée à notre être réel c’est-à-dire KUTASTHA soit surmontée par la contemplation de l’idée que BRAHMAN est son propre soi, Et cette idée que BRAHMAN est quelque chose en dehors de soi devra être surmontée par la contemplation de l’idée que l’on est soi-même BRAHMAN, c’est l’objet si on peut le dire ainsi de l’expérience immédiate et toujours présente. Même après cet achèvement, l’idée de grandeur associé à BRAHMAN persistera. Cette idée de grandeur qui est aussi une surimposition, devra être surmontée en évitant les autres objets et en contemplant l’idée que l’on est la pure Conscience elle-même.

PRAJNANAM BRAHMA

Ce n’est qu’ainsi que l’aspirant peut espérer atteindre la réalité absolue à qui se réfère ATMA et « JE » dans ce livre. Des deux façons de penser, à savoir celle qui placerait l’individuel au-dessous de l’universel et celle qui placerait l’universel au-dessous de l’individuel, c’est cette dernière qui a été adoptée ici.
Il est de l’expérience de tous, que quand on regarde avec attention, tout ce que n’est pas nous-même, ne peut exister seulement comme objet de nous-même qui sommes le sujet. L’objet aussi est vu comme ayant un lien inséparable avec soi-même.
Il n’y a pas de formes sans vision,
il n’y a pas de son sans audition.
On se regarde comme celui qui voit ou celui qui entend et on prend ainsi la position de celui qui perçoit ces objets.
Dans la vérité, vision, audition etc. sont elles-mêmes des objets. Quand elles sont regardées comme telles, on se trouve dans la position de la pure Conscience qui est ce qui perçoit. La notion de celui qui perçoit disparaîtra aussi ici.
Chaque fois que la position prise par ce qui perçoit change, le perçu change en conséquence. Ainsi par l’analyse de l’un, la vérité concernant l’autre peut aussi être atteinte. Ce mode d’approche est par lui-même très vaste, incluant plusieurs modes particuliers comme ceux traités dans cet ouvrage, chacun d’eux est un moyen propre à révéler la réalité. Pour un regard superficiel, ces différents moyens d’approche peuvent apparaître en contradiction les uns avec les autres. Mais il n’y aura pas de contradiction si l’on regarde la question avec attention.
Le texte qui suit est ma propre traduction (en anglais) de l’original en Malayalam, écrit en vers et divisé en sections en fonction des idées. Bien sûr, la force de l’original est perdue dans la traduction.

Section 6 à 20

Chaque section de 6 à 20 traite une voie d’approche particulière.
Parmi ces sections, les sections 6 à 13 se rapportent l’une à l’autre, c’est à travers l’aspect témoin de la section 6 qu’on atteint l’aspect témoin de la section 13, après quoi, l’aspect témoin aussi sera abandonné. Même l’aspect témoin n’est qu’un moyen, car dans cet aspect, il y a surimposition. Pour atteindre la Réalité, cette surimposition devra également disparaître. Ni les grands Maîtres, ni les œuvres védantiques prétendent que les différents PRAKRIYAS ou modes d’approche, représentent la vérité absolue. D’un autre côté, selon eux, ce sont là divers moyens en vu de la même fin, notamment celui d’atteindre la réalité.
Cette voie seule grâce à la quelle un homme devient ancré dans la connaissance du vrai principe JE, est la voie qui lui est appropriée. Il n’y a pas de voie unique qui convient à tous pareillement. Voila ce que dit Sureshwaracharya, le grand disciple de Shankara.
Point n’est besoin d’essayer de concilier les différentes PRAKRIYAS entre elles.
Agir de la sorte pourrait même être un obstacle dans ce chemin de l’aspirant. Il n’y aura peut-être pas de difficulté si on peut discerner avec soin le point de vu sous-jacent à chaque PRAKRIYA. Si cela n’est pas possible, il suffit de s’en tenir fermement à la PRAKRIYA pour la quelle on se sent le plus d’attrait.

Dans le section 6, la mémoire est acceptée dans son sens commun et par ce moyen, l’aspect témoin est rendu clair.
Dans la section 19, la mémoire est établie comme étant inexistante.
Ces deux points de vue peuvent tout d’abord sembler contradictoires. La contradiction se résoudra d’elle-même quand on se souvient que ce qui est fait dans la section 6 est de considérer le principe témoin, tandis que le contenu de la section 19 est de considérer le principe de la mémoire. De la même manière, les objets sont vus à un endroit comme étant la Conscience et ailleurs comme étant des pointeurs vers la Conscience. L’explication s’appuie sur le fait dans le contexte du premier, on considère la nature des objets, tandis que dans le dernier, on considère la nature de la Conscience. Similairement, chaque fois que de telles contradictions apparentes de ce genre se présentent d’elles-mêmes, une simple réflexion révélera qu’il n’y a en réalité aucune contradiction.
La méthode d’analyse du concept du monde objectif et ainsi établissant qu’il n’est rien que Conscience, est acceptée dans cet ouvrage de la même manière que l’autre méthode qui établirait qu’en réalité, il n’y a pas de monde du tout et ainsi, nous aide à prendre fermement position dans la Conscience. C’est cette dernière méthode qui est développée aux sections 19 et 20. Les deux méthodes devront être vues à partir de leur point de vu respectif. L’aspect témoin au quel on s’est référé d’une manière générale doit être rendu plus clair. À première vue, on peut douter que le témoin de la section 6 n’est pas comme le Jiva, une entité fonctionnelle. Mais une petite réflexion montrera que le témoin n’a pas de fonction. Quand l’attention est dirigée vers la Conscience qui est le témoin, il n’est pas possible de diriger l’attention vers ce qui est témoigné. Le témoin n’est pas non plus présent dans cette conscience. Par conséquent, c’est dans la Conscience sans fonction que la pensée se dissout. C’est de cette expérience que découle l’aspect le plus haut du témoin traité dans la section 13 – II. Le sens de ce vers est que la Connaissance du témoin, contrairement à l’esprit, est inaltérée par le changement et l’effort. Le soleil brille dans sa propre splendeur. La lumière est la nature même du soleil ou son Être, ce n’est pas sa fonction. Ni qu’il n’y a une quelconque attention d’illuminer les objets. Mais les êtres vivants perçoivent les objets par la lumière du soleil. Cela leur fait surimposer au soleil la fonction d’illuminer les objets.
De la même façon, les objets et les pensées se révèlent eux-mêmes dans la Conscience.
Quand la fonction de révélateur est superposée sur la Conscience, elle devient le témoin. En réalité, la Conscience brille d’elle-même. La lumière ou la révélation est sa vraie nature, ce n’est ni une fonction ni une propriété. C’est cette vérité qui est exposée dans les versets au-dessus. Quand on atteint cet aspect supérieur du témoin, on viendra à réaliser que c’est la pure Conscience, sans la moindre nuance de témoignage.
C’est à fin de mettre en garde contre la confusion entre les différents niveaux de pensée ou de point de vu que les différentes étapes de l’illumination ont été indiqués dans la section 4. Jusqu’à ce qu’on atteigne le plus haut degré de la Conscience pure, cela ne se peut pas mais il y aura diverses  surimpositions variées sur la Réalité.
Étape après étape ces surimpositions disparaitront l’une après l’autre. La pure Conscience est simple expérience. Elle ne peut être perçue au début qu’au travers les objets.
L’invisible Rabu* est perçue par l’éclipse de la lune. De la même manière, l’Âtmâ qui est pure expérience, est perçu à travers les objets. Dans ce sens, on peut seulement percevoir l’Âtmâ, qui est pure Conscience, pas à pas, et alors, on surmonte l’idée du monde objectif.
*(ombre de la terre, classée dans l’astrologie indienne comme la planète appelée Rabu : tête de dragon),

Dans la section 7 – I, il est montré qu’Âtmâ est la Conscience du son et des autres objets. Quand l’idée des objets tombe graduellement et que l’attention est fixée de plus en plus sur la Conscience, on verra alors que c’est la Réalité qui imprègne toute chose.
Enfin de compte elle apparaîtra comme étant l’Absolu. Ici aussi, il est montré que l’expérience de la Réalité se fait par étapes. Nous entendons souvent les gens discuter de la vérité spirituelle d’un point de vue objectif et demeurer satisfait d’une connaissance théorique. C’est le résultat de poursuivre des lignes de pensées sèches et stériles. Un aspirant n’a rien à gagner d’une simple discussion qui apprécie ou déprécie les  vérités exposées dans les traités philosophiques.
L’idée des ACHARYAS était simplement que chacun devait suivre quelques lignes de pensée spirituelle qui l’aiderait à atteindre la réalisation. C’est ce que disent clairement les mots de Sri Sureshwaracharya déjà cités. Le présent ouvrage est écrit pour ces aspirants sincères qui n’étaient pas satisfaits avec une connaissance théorique et qui veulent poursuivre le chemin de la réalisation.

Atma-Darshan